"Soleils invincibles", un roman qui évoque l'immigration, la mémoire et la quête d'identité

Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye posant au milieu d'une bibliothèque

Crédit photo, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Légende image, En tant qu'écrivain ionné, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye a publié dix ouvrages en Wolof et en français, et anime son blog depuis plus de dix ans.

"Soleils invincibles" est une œuvre du jeune auteur sénégalais Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye.

Né en 1993 à Diourbel au centre du Sénégal, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye a vécu sept ans au Burkina Faso, où il a étudié au Prytanée Militaire de Kadiogo, avant de poursuivre ses études dans plusieurs institutions prestigieuses, notamment l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), l'Université d'Oslo (Norvège), Sciences Po Paris, Paris-Dauphine et Boston College (États-Unis).

Écrivain multilingue (wolof, français, anglais), héritier d'auteurs majeurs tels que Léopold Sédar Senghor, Sembène Ousmane, Aminata Sow Fall ou encore Mariama Ba.

Son blog "Assumer l'Afrique" est un appel engagé et poétique, qui exhume les figures oubliées de l'histoire pour leur redonner voix.

Il est l'auteur d'une dizaine de recueils de poésie, dont le premier intitulé Les mots du coeur, publié en 2011, a reçu les félicitations du président de la République du Sénégal.

ionné de politique et de justice sociale, il inscrit son travail littéraire dans une démarche de lutte et de mémoire.

Ce roman, "Soleils invincibles", né des multiples influences de l'auteur, explore l'expérience africaine à travers la quête de dignité, l'exil, l'immigration, la mémoire et les dilemmes identitaires.

A l'occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur célébrée dans la plupart des pays le 23 avril, BBC Afrique donne la parole à un jeune auteur qui émerge au cœur du riche vivier littéraire sénégalais.

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Influences et inspirations de l'auteur

Couverture du Roman Soleils Invincibles

Crédit photo, CHEIKH AHMADOU BAMBA NDIAYE

Légende image, "Soleils Invincibles" est un récit de la vie mouvementée de Dramane, expulsé de Cissane et forcé de retourner à Toumouranka, où il doit confronter son é.

Qui est Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye ?

Je suis un poète et écrivain né à Diourbel, au cœur du Sénégal. Africain de conviction, j'ai vécu sept années de ma vie au Burkina Faso, entre mes onze et mes dix-huit ans, en tant qu'élève au Prytanée Militaire de Kadiogo. J'y ai mieux appris la rigueur et la valeur du travail, et surtout l'art du verbe. J'ai par la suite été diplômé de Sciences Po Paris, Paris-Dauphine et l'ENA (INSP), après un age à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis et à l'ISM Dakar : gardant partout un double emploi du temps et nourrissant ma plume de mes diverses rencontres et formations. Je suis actuellement installé à Boston, aux États-Unis, où je termine mes études de droit, me spécialisant en contentieux des investissements. Je suis un amoureux des mots, profondément animé par les enjeux politiques et sociaux de mon continent, épicentre de mon travail.

Quelle est votre histoire avec le livre et pourquoi vous avez choisi d'écrire?

Précocité et nécessité seraient les deux mots que je choisirais pour résumer ma rencontre avec la littérature.

Précocité, car je suis issu de parents et d'une fratrie qui traitent les lettres avec déférence, où chaque vocation, chaque ambition, chaque rêve est soutenu. Lire m'a amené à écrire très rapidement. Mon premier livre achevé dès la classe de cinquième, j'ai publié mes quatre premiers ouvrages, des recueils de poésie et de nouvelles, entre la classe de Première au lycée et ma première année d'université.

Nécessité, car j'ai grandi à l'époque de Blaise Compaoré au Burkina Faso, une situation socio-politique marquée par l'injustice et la précarité. Adolescent, de surcroît dans les rangs de l'armée, mais au d'autres jeunes d'une douzaine de pays d'Afrique, j'ai fait de la littérature mon acte de résistance, une alliée pour « réinventer l'avenir ».

Ma littérature est une littérature de lutte. Elle peut être une parole politique vêtue de poésie. Un pied de nez à toute injustice. J'exhume les morts, sacrifiés de l'histoire, pour semer leurs rêves dans des cœurs fertiles, sur des terres promises. Les meilleurs dans la lutte, dans la vie de tous les jours, sont rarement ceux érigés en statue.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent ?

Le poète David Mandessi Diop et Sembène Ousmane sont les auteurs auxquels je suis resté le plus longtemps attaché. Le premier m'a appris qu'une poésie puissante est aussi celle qui s'affranchit des dogmatismes de formes. Avec le second, j'ai très tôt su que l'écriture n'est pas une plaisanterie.

Quand on met d'infinies heures de sa vie dans une activité, ce n'est pas pour du verbiage, du travail bâclé. Il faut laisser libre cours à son génie (tout le monde en a), le renforcer de discipline, affronter les problèmes et aller au bout des choses.

Ces dernières années, sous la direction de Boubacar Boris Diop, qui m'a généreusement pris sous son aile, je me suis beaucoup investi dans l'étude des classiques de la littérature wolof, convaincu de l'égale dignité de toutes les langues. J'écoute Serigne Mbaye Diakhaté presque tous les jours.

Thèmes évoqués dans "Soleils invincibles"

Comment vous est venue l'idée d'écrire "Soleils invincibles" ?

La genèse de Soleils invincibles a connu plusieurs épisodes, dont je me rappelle de manière précise : entre les longues promenades (je marche beaucoup quand je réfléchis), les montées de collines, les échanges avec mon entourage, les investigations de terrain.

Le roman débute dans le métro et son personnage principal se nomme Dramane. Rien de cela n'est anodin, comme c'est le cas du moindre choix opéré dans le texte. Je me revois un soir de deuxième année à Sciences Po, après mes cours à 21 h, debout dans le métro. Une main tenant la rampe du milieu et dans l'autre main, les dernières pages de L'Afrique humiliée d'Aminata Dramane Traoré. J'ai lu ce texte en même temps que celui qu'elle a coécrit avec Boubacar Boris Diop, La gloire des imposteurs.

En refermant L'Afrique humiliée ce soir-là, je me suis dit une seule chose : « Je dois apporter mon soutien au combat de cette femme. » La forme de ce soutien, son genre, son contenu ont été décidés plus tard dans mon entreprise, au cours de laquelle j'ai pris chaque étape comme la plus importante de ma vie. Le genre initial du texte était hybride : l'essai y prédominait.

Auparavant, j'avais déjà traité du sujet en poésie et avec son excellent Terre ceinte, Mohamed Mbougar Sarr m'avait convaincu que le roman pouvait être digne d'intérêt.

C'est finalement le Professeur Fonkoua et un de mes parrains, Mohamed Camara, qui m'ont fait pencher vers le roman.

Aussi, pour sa teneur, sa densité, j'avais pris L'aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane comme idéal-type dès le départ. N'ayant pas le même style que Cheikh Hamidou Kane, je nourris un grand respect pour l'homme et l'œuvre.

Quelles sont les problématiques évoquées dans votre roman ?

C'est la question que je redoute. Toute réponse paraît incomplète ou trop ambitieuse, voire vaine. La vérité est que j'ai voulu faire tenir l'expérience africaine sur quelques pages, avec de courtes phrases. J'ai voulu parler de notre longue quête de dignité, de mémoire, de notre humanité.

J'ai voulu affronter nos doutes, filmer nos errances, nos manquements. J'ai fait du silence le moteur du récit, de la tendresse d'une mère, le fardeau de trop.

L'exil, dans Soleils invincibles, est la porte qui donne sur notre conscience, notre intimité, notre complexité, sur l'infinité de notre beauté.

Je l'ai écrit pour que nul ne puisse dire de quoi il s'agit, si ce n'est de la vie. Le lecteur doit er par tous les états, ressentir dans sa chair cette flamme qui couvait dans mon âme durant ces dix années d'écriture.

Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Crédit photo, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye

Légende image, Issu d'un environnement familial valorisant les lettres, Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye a commencé à écrire dès le collège.

La littérature en Afrique francophone

Quelle appréciation faites vous de l'environnement du livre et de la littérature en Afrique francophone ?

Je trouve notre environnement du livre dynamique, effervescent, tant dans la présence des acteurs que dans le développement des initiatives. Tout en s'imposant sur la scène internationale, notre littérature devient moins extravertie. Des auteurs, des libraires, des critiques, des lecteurs aguerris, des éditeurs, des bibliothèques (ambulantes ou digitales) s'établissent et deviennent des figures publiques. Des eurs de lettres.

Les rendez-vous littéraires fleurissent, acquièrent longévité et reconnaissance. Ils sont parfois investis par des genres nouveaux. Je pense notamment à la Coupe d'Afrique de Slam Poésie, où l'éternité s'extasiera toujours devant feu Al-Fârûq, montant au ciel à la force de ses vers. Je pense aux Jotaayu Taalif, à toutes les productions en langues nationales africaines (avec les éditions Ejo en pointe).

Nos langues ne sont plus cachées, rabaissées ; elles sont dépoussiérées, revendiquées, utilisées pour créer.

Une politique du livre aboutie peut être le catalyseur de toutes ces énergies. Assurer l'accessibilité des textes, tant en termes de coûts que de circulation, respecter de manière stricte les agendas des prix et des événements littéraires (le Grand Prix du Chef de l'État pour les Lettres au Sénégal ou encore le Grand prix panafricain de littérature de l'Union africaine lancé en 2021 sous la présidence congolaise se tiennent de manière sporadique), renforcer l'inclusion dans notre conception de la littérature (via les littératures en langues nationales, l'intégration des nouveaux auteurs africains dans notre imaginaire, tout en élargissant notre ouverture du monde à l'Amérique latine, à l'univers anglo-saxon) peuvent être des efforts salutaires.

Un livre ouvert sur fond noir

Crédit photo, Getty Images

Regard sur la société sénégalaise

En tant qu'écrivain, quel est votre regard sur la société qui vous a vu naître et éclore ?

C'est un regard de tendresse, d'indulgence et de vigilance. Nous restons une belle société, avec des ancrages culturels ou religieux forts. Le brassage, notre art de tisser ou raffermir les liens, le sens du partage, l'hospitalité, restent des héritages précieux, palpables. Mais qui dit héritages dit défis dans la perpétuation, dans la consolidation.

Notre société, à l'instar de toutes les autres, se renouvelle, se redécouvre et peut parfois afficher ou dévoiler au grand jour des failles, des laideurs, effrayantes.

Notre démocratie, souvent présentée comme une vitrine, s'est une nouvelle fois montrée répressive, meurtrière, avant l'élection présidentielle de 2024. Nous avons failli sombrer dans la dictature. Les inégalités montent, avec elles les frustrations, le délitement de certaines valeurs et du tissu social.

Notre société prend-elle vraiment soin des siens ? Quel regard posons-nous sur nos compatriotes africains ? Qu'est-ce qui nous lie à nos voisins du monde ? La réponse à ces questions n'est jamais figée. Elle peut verser dans le meilleur comme dans le pire. C'est pourquoi nous devons tout le temps garder l'œil ouvert.

Un élève dans une bibliothèque

Crédit photo, Getty Images

Littérature et évolution technologique

Comment concilier littérature et technologie dans ce contexte où l'intelligence artificielle est en plein essor ?

La littérature est logée au cœur de l'Humanité. Elle vivra tant que battra ce cœur. Les transformations, quelles qu'elles soient, la nourrissent. Ce sont ses matériaux.

Écrire, ce n'est pas seulement aligner les belles phrases, emprunter les meilleures tournures. C'est aller cueillir chaque mot, chaque frisson, dans les recoins de son être. L'éprouver, le partager, le distiller dans l'autre.

La littérature est une affaire de chair, de cœur et d'âme. Il m'étonnerait que l'intelligence artificielle dispose de ces trois éléments un jour.

Aussi, le contrat de lecture marche parce qu'il y a un mécanisme d'identification à l'auteur ou au lecteur. La conscience que c'est un autre humain qui s'adresse à nous, que l'œuvre est le fruit d'une maturation, d'un effort inouï, pose sur le texte un cachet unique. La création n'est pas réduite à une compilation en vrac d'émotions désincarnées, à une littérature OGM (Organisme Génétiquement Modifié).

Enfin, l'intelligence artificielle aura toujours un retard sur l'écrivain puisqu'elle imite ce dernier. De manière malhabile à ce stade, quand on voit certaines platitudes dans ses imitations. Celles-ci s'amélioreront sans doute, tout comme l'intelligence artificielle suscitera une réorganisation du travail autour du livre (relecture, intertextualité, modes de distribution et de diffusion…).

Des problématiques de plagiat, de droit d'auteur pourraient se multiplier. L'auteur sera sommé de préserver l'intégrité de son art : écrire sans assistance artificielle. Mais la littérature continuera d'exister, car ceux qui la pratiquent partagent une chose : ils ne savent plus vivre sans écrire. La littérature leur a ôté ce choix.