Pourquoi le Tchad n'a pas organisé les législatives depuis treize ans

Au Tchad, quelque 8 millions d'électeurs sont appelés aux urnes dimanche 29 décembre pour des élections législatives, provinciales et communales.

Près de 179 partis ou regroupements politiques sont en lice pour les législatives avec 718 listes.

1 329 candidats sont autorisés par le Conseil constitutionnel à figurer sur les listes définitives des candidats aux législatives pour 188 sièges au parlement.

Les élections législatives marqueront la fin de la transition avec la restauration de l'Assemblée nationale. Celle-ci avait été dissoute, comme les autres institutions en avril 2021, lors de la prise de pouvoir par l'armée à la mort du président Idriss Déby Itno sur le champ de bataille.

Pour le rapporteur national de la campagne du MPS et ministre des infrastructures Aziz Mahamat Saleh, les prochaines élections vont "donner une majorité au Président de la République pour traduire dans les faits son programme politique".

Au-delà d'un "retour à l'ordre constitutionnel", "on assistera à un renouvellement générationnel de la classe politique à l'Assemblée nationale et dans les instances locales".

A lire aussi sur BBC Afrique:

Plusieurs reports

Les dernières législatives remontent à 2011. L'Assemblée nationale devait être renouvelée en 2015, mais, le scrutin a connu plusieurs reports en raison de la menace djihadiste, puis de difficultés financières et de l'épidémie de coronavirus.

La mort du président Idriss Deby suivie par la transition pilotée par son fils, ont fourni des raisons supplémentaires de repousser le vote. Un parlement de transition composé de 93 membres a été désigné par décret présidentiel en 2021.

Pour le politologue Evariste Ngarlem Toldé, avec la mise en place d'une nouvelle Assemblée nationale, le Tchad aura des nouveaux députés, des nouveaux élus. « Aujourd'hui, c'est au peuple que revient la décision d'élire ces représentants à l'Assemblée nationale, les députés élus au suffrage universel. » Les élus auront ainsi toute leur légitimité.

Boycott de l'opposition

L'opposition, elle, dénonce un régime qu'elle juge autocratique et violemment répressif.

"Participer aux élections législatives dans les conditions actuelles, c'est participer à un apartheid législatif", estime ainsi le patron du parti des Transformateurs, Succès Masra, donné battu à la présidentielle de mai avec un score néanmoins de 18,54%.

"Cette élection, c'est pour légitimer le pouvoir en place qui ressemble à une dynastie successorale et fait face à d'énormes contestations aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays", abonde le Pr Ahmat Mahamat Hassan, constitutionnaliste enseignant à l'université de N'Djamena.

Pour Remadji Hoinaty chercheur à l'Institute for Security Studies (ISS), les élections sont politiquement sans enjeu car elles ont lieu "entre soi, autrement dit entre ceux qui ont accepté d'accompagner Deby à la présidentielle".

"Les sièges seront partagés et on se retrouvera avec une assemblée unicolore dominé par le MPS, le parti au pouvoir, une sorte de chambre d'enregistrement", relève-t-il.

Le politologue Evariste Ngarlem Toldé renchérit en expliquant que « les Assemblées nationales en Afrique répondent toujours aux exigences de celui qui gouverne ». Quel que soit le résultat, le parti au pouvoir aura la majorité et les lois qui seront votées iront dans le sens de celui qui est au pouvoir et « les députés voteront des lois telles que proposées par l'exécutif. »

L'enseignant chercheur à l'université de N'Djamena estime que le boycott de l'opposition aura une double conséquence.

D'abord il pourrait « décrédibiliser ces législatives car le parti "Les Transformateurs" représente une force importante de l'opposition ; son absence pourrait influencer le taux de participation ».

Evariste Ngarlem Toldé estime également que ces élections étaient une occasion pour le parti de Succès Masra de « tester son poids sur l'échiquier national ».

Selon lui, sur le plan politique, « ce parti est une force politique, c'est indiscutable ». « Mais il fallait qu'ils viennent tester leur force sur le terrain politique pour qu'on sache quel est leur poids. Malheureusement, ils ont choisi la politique de la chaise vide. »

Pour lui, cette absence du parti Les Transformateurs entrainera une perte de terrain.

« Le fait de ne pas avoir de députés à l'Assemblée, cela portera un coup dur inévitablement, à cette formation politique qui avait toujours la facilité de mobilisation ».

Grève des médias en ligne

Morose malgré les efforts du pouvoir, la campagne électorale a pâti d'un trou noir informationnel lié à une longue grève de l'Association des médias en ligne au Tchad (AMET) contre des restrictions de publication.

En effet, le 4 décembre, le président de la Haute Autorité des Médias et de l'Audiovisuel (Hama) a interdit la production de contenus audiovisuels par les médias en ligne qui ne feraient pas de demande d'autorisation en ce sens. Il a menacé de les retirer de la liste des médias en règle. En réponse, une quarantaine de médias en ligne tchadiens, parmi les plus lus avaient observé une "journée sans presse" pour l'ouverture de la campagne électorale, dans un contexte de tensions croissantes entre le pouvoir et les médias privés.

Le jeudi 19 décembre, la Cour suprême a suspendu la décision de la Hama d'interdire la diffusion et la production de contenus audiovisuels aux médias en ligne.

Selon le président de la Cour suprême Samir Adam Annour cette interdiction de diffusion et de publication "prive les citoyens de leur droit à l'information et constitue une atteinte grave à la liberté d'expression et de communication" à la veille des scrutins importants.

La campagne électorale pour ces élections législative, provinciales et communales prend fin le 27 décembre. La proclamation des résultats provisoires est prévue pour le 15 janvier 2025 et les résultats définitifs le 03 février 2025.