Comment le plan d'aide à Gaza soutenu par les États-Unis et Israël, très controversé, a sombré dans le chaos

Le garde de sécurité masqué et armé, perché au sommet d'un monticule de terre, surveille les milliers de Palestiniens qui ont été encerclés dans des ruelles étroites séparées par des barrières en contrebas.

Il forme un cœur avec ses mains et la foule répond - la barrière commence à se courber sous la pression des gens qui poussent contre elle.

Cette scène jubilatoire a été filmée mardi, jour de l'ouverture d'un centre de distribution d'aide humanitaire, une bouée de sauvetage vitale pour les Gazaouis qui n'ont pas vu de nouvelles livraisons arriver dans la bande de Gaza depuis plus de deux mois en raison du blocus israélien.

Mais dès l'après-midi, la scène était celle d'un chaos total. Des vidéos ont montré le centre de distribution envahi par des civils désespérés piétinant les barrières renversées ; les gens sursautaient au bruit des coups de feu.

Ce fut le début chaotique d'un nouveau programme controversé de distribution d'aide humanitaire géré par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), un organisme nouvellement créé soutenu par les États-Unis et Israël.

La GHF a été chargée de nourrir les Gazaouis qui souffrent de la faim. Selon l'ONU, plus de deux millions de personnes sont menacées de famine.

La fondation, qui fait appel à des agents de sécurité américains armés, vise à contourner l'ONU en tant que principal fournisseur d'aide à Gaza. Elle a été condamnée et boycottée par les agences d'aide et les Nations unies. Mais Israël a déclaré qu'une alternative au système d'aide existant était nécessaire pour empêcher le Hamas de voler l'aide, ce que le groupe nie faire.

Pour se faire une idée des premiers jours de ce nouveau système d'acheminement de l'aide, BBC a vérifié des dizaines d'images sur les sites de distribution, interrogé des experts humanitaires et logistiques, analysé les données relatives au transport de l'aide israélienne et les déclarations officielles publiées par le GHF, et s'est entretenu avec des habitants de Gaza à la recherche d'approvisionnements.

Scènes chaotiques dans les centres de distribution

La GHF a déclaré qu'elle avait pour objectif de nourrir un million d'habitants de Gaza au cours de sa première semaine d'activité grâce à quatre sites de distribution sécurisés.

Un porte-parole de la fondation a déclaré vendredi, au quatrième jour de ses opérations, qu'elle avait distribué deux millions de repas. La BBC n'a pas été en mesure de vérifier ce chiffre, qui représenterait moins d'un repas par habitant de Gaza sur une période de quatre jours.

La GHF n'a pas répondu à nos questions sur la manière dont elle suivait les bénéficiaires de ces repas.

Dans une vidéo filmée sur le site nord de la GHF près de Nuseirat jeudi, on peut voir des Palestiniens s'éloigner en courant d'une clôture périphérique après que des contractants de la GHF ont lancé un projectile qui a explosé avec une forte détonation, un flash et de la fumée.

Dans un communiqué, la GHF a déclaré que son personnel « a rencontré une foule tendue et potentiellement dangereuse qui refusait de se disperser ».

« Pour éviter l'escalade et assurer la sécurité des civils et du personnel, des moyens de dissuasion non létaux ont été déployés, notamment des fumigènes et des tirs de sommation au sol.

« Ces mesures ont été efficaces et aucun blessé n'est à déplorer. BBC ne peut pas confirmer cette information de manière indépendante.

Plus tard dans la soirée, le GHF a averti les habitants de Gaza par l'intermédiaire de Facebook qu'il fermerait tout site où des pillages auraient lieu.

Le GHF n'est pas la seule organisation d'aide à être confrontée à de graves difficultés. La nuit précédant l'avertissement du GHF, un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) a été pillé, causant plusieurs décès qui font toujours l'objet d'une enquête.

En réponse à cet incident, le PAM a déclaré que les problèmes humanitaires « sont devenus incontrôlables » et a appelé à un « accès humanitaire sûr et sans entrave » à Gaza.

Le PAM n'a pas répondu aux questions de la BBC concernant la mise en œuvre de nouvelles mesures de sécurité dans ses entrepôts.

Communication désorganisée du GHF

Les Palestiniens qui cherchent de l'aide ont qualifié l'opération menée par le GHF de désorganisée, affirmant qu'un manque de communication a contribué aux scènes chaotiques observées cette semaine.

Les choses ont été encore plus embrouillées par la désinformation. BBC a vu au moins deux profils Facebook prétendant être des comptes officiels de la GHF, partageant des informations inexactes sur l'état des centres de distribution de l'aide.

Une page comptant plus de 4 000 adeptes a publié des informations inexactes, parfois accompagnées d'images générées par l'intelligence artificielle, selon lesquelles l'aide avait été suspendue ou que les centres du GHF avaient fait l'objet d'un pillage généralisé.

Un porte-parole de la GHF a confirmé à BBC que ces deux comptes Facebook étaient faux. Il a également déclaré que la fondation avait lancé un canal Facebook officiel.

Les informations de transparence en ligne ont montré que la page avait été créée pour la première fois mercredi, le lendemain du début des opérations de distribution.

L'organisation humanitaire Oxfam et des habitants de Gaza ont déclaré à la BBC que les habitants comptaient plutôt sur le bouche à oreille pour faire circuler l'information lorsque l'aide était disponible.

« Tout le monde a faim. Tout le monde se bat pour obtenir ce qu'il veut, comment sommes-nous censés obtenir quoi que ce soit ? », a déclaré Um Mohammad Abu Hajar, qui n'a pas pu obtenir une boîte d'aide jeudi.

Préoccupations des agences d'aide

Oxfam a critiqué l'emplacement des sites de distribution du GHF, déclarant à BBC qu'il imposait « un contrôle militaire sur les opérations d'aide ».

Sa conseillère politique, Bushra Khalidi, s'est également interrogée sur la manière dont les personnes vulnérables, telles que les personnes âgées, pourraient atteindre ces sites, qui sont situés à une certaine distance de certains centres de population.

Lorsque les Nations unies acheminaient l'aide avant le blocus humanitaire d'Israël, 400 points de distribution étaient répartis dans la bande de Gaza. Dans le cadre du système de distribution actuel du GHF, il n'y a actuellement que quatre sites connus.

« D'une manière générale, ce système est conçu pour accroître considérablement la concentration de la population en concentrant les seules sources de nourriture dans un très petit nombre d'endroits », a déclaré Chris Newton, analyste principal au sein du groupe de réflexion Crisis Group, basé à Bruxelles.

« Soit vous suivez toutes les règles et survivez probablement dans un petit rayon autour de ces sites, soit vous avez très peu de chances de survivre ».

La présence d'agents de sécurité armés et de soldats israéliens sur les sites de distribution ou à proximité a également alarmé les experts, qui ont déclaré qu'elle sapait la confiance dans les opérations d'aide.

« Distribuer de l'aide dans ce type d'environnement est extrêmement difficile. [Elle est beaucoup plus efficace lorsque l'on essaie de travailler avec et par l'intermédiaire des personnes sur place... plutôt que sous la menace d'un mercenaire », a déclaré le professeur Stuart Gordon, de la London School of Economics.

Un porte-parole du GHF a déclaré : « Notre capacité - et notre volonté - d'agir sous pression est précisément la raison pour laquelle le GHF reste l'une des seules organisations encore capables de fournir une aide alimentaire essentielle à Gaza aujourd'hui. »

Des images et des vidéos prises par des témoins oculaires et par l'armée israélienne ont montré que les boîtes de la GHF semblaient se limiter à des conserves, des pâtes, du riz, de l'huile de cuisine et quelques biscuits et lentilles.

L'aide humanitaire n'est pas une simple boîte de nourriture sur laquelle on appose une étiquette « humanitaire » », a déclaré Mme Khalidi.

Les fournitures distribuées aux familles devraient être accompagnées d'un soutien médical, de kits d'hygiène et de purification de l'eau, a déclaré le professeur Gordon.

Un document de 14 pages de la GHF, vu par la BBC, promet de distribuer de l'eau et des kits d'hygiène sur les sites.

Vendredi, un seul des quatre sites de la GHF distribuait de l'aide. Il a été ouvert pendant moins d'une heure, après quoi la GHF a annoncé sur Facebook qu'il avait fermé parce que toutes les fournitures avaient été « entièrement distribuées ».

Interrogé par BBC sur les raisons pour lesquelles un seul site était opérationnel et pourquoi les boîtes ont été épuisées si rapidement, un porte-parole de la GHF a déclaré que l'approvisionnement « variera au jour le jour ».

« La bonne nouvelle, c'est que nous avons fourni deux millions de repas en quatre jours et que nous allons intensifier nos efforts dans les jours et les semaines à venir », a déclaré le porte-parole.

Mais de nombreuses personnes reviennent encore des sites de distribution sans boîtes pour leur famille.

« Je suis les mains vides comme Dieu m'a créé », a déclaré Hani Abed à l'extérieur du centre près de Netzarim jeudi.

« Je suis venu les mains vides et je suis reparti les mains vides.

Reportage complémentaire et vérification par Emma Pengelly, Rudabah Abbass, Alex Murray, Thomas Spencer, Benedict Garman et Richard Irvine-Brown.